L'existence des ondes gravitationnelles n'a été confirmée que très récemment, mais les progrès sont rapides. En six mois, ce sont 39 signaux qui ont été détectés et qui réservent quelques surprises.
Complètement inconnues du grand public jusqu’à la confirmation de leur existence en 2015, les ondes gravitationnelles sont pourtant recherchées par les scientifiques depuis un siècle. Depuis leur prédiction par Albert Einstein en 1915, précisément. Et ces dernières années ont vu le domaine de recherche exploser jusqu’à cette dernière publication datée du 29 octobre dernier. La collaboration Ligo/Virgo a dévoilé les résultats de sa dernière campagne d’observation qui enregistre pas moins de 39 nouveaux signaux, alors qu’il n’y en avait que 11 dans la précédente. Le détail est disponible dans trois études mises en ligne sur le serveur Arxiv : une consacrée aux rayons gamma, une autre qui compare les différents objets identifiés, et une troisième qui s’intéresse à la conformité de ces découvertes avec la relativité générale.
Ligo aux États-Unis et Virgo en Italie sont deux détecteurs d’ondes gravitationnelles. Ils fonctionnent avec un système sophistiqué de lasers et de miroirs censés détecter les moindres perturbations dans l’espace-temps. Les premières confirmations d’ondes gravitationnelles en 2015 ont été considérées (à juste titre) comme de véritables prouesses, car ces instruments arrivaient à capter des mouvements ténus provoqués pourtant par des événements cataclysmiques à des années-lumière de là. En clair, des fusions de trous noirs, soit les perturbations les plus violentes imaginables dans l’Univers. Et tout cela ne laisse que des signaux à peine assez visibles pour être captés.
Mais ça, c’était il y a 5 ans, et depuis, les instruments de Ligo et Virgo sont capables d’identifier des signaux beaucoup plus nombreux, mais également de plus faible intensité. C’est le cas dans cette nouvelle fournée de découvertes réunies dans cette session qui s’est déroulée d’avril à octobre 2019. Baptisée O3a, c’est la première session durant laquelle Ligo et Virgo ont travaillé ensemble du début à la fin. Lors de la précédente, il n’y avait qu’un seul mois en commun.
« Cette fois c’est différent à plus d’un titre, considère Matteo Barsuglia, le responsable scientifique du projet Virgo pour la France. C’est la première fois que nos observations sont transmises en temps réel aux astronomes du monde entier qui peuvent utiliser les données. » C’est en partie pour cela que certaines des observations sont déjà connues et ont même fait l’objet de publications scientifiques.
C’est le cas notamment du signal baptisé GW190412, qui fait état pour la première fois d’une fusion entre deux trous noirs de masses très différentes. L’un d’eux de 8 masses solaires, l’autre seulement de 3. Il y a aussi eu GW190521, deux trous noirs d’une masse totale de 150 masses solaires, un record. Un événement intéressant pour deux raisons : d’abord c’est le premier trou noir de masse intermédiaire détecté avec les ondes gravitationnelles. Et en plus, un des trous noirs fusionnés avait déjà à lui seul une masse de 85 masses solaires, ce qui est inexplicable selon les modèles de formation de ces objets. Il ne peut pas avoir été produit par l’effondrement gravitationnel d’une étoile massive. Il s’agirait donc d’un trou noir de deuxième génération, c’est-à-dire résultant d’une fusion précédente, mais rien de sûr.
Mais il y a aussi des petits nouveaux. Littéralement petits, puisque parmi les signaux détectés, certains proviennent d’astres beaucoup moins massifs, notamment un événement qui implique deux trous noirs parmi les plus légers détectés, à savoir respectivement 6 et 9 masses solaires. Un autre inclut des objets qui pourraient être soit des trous noirs très légers, soit des étoiles à neutrons très lourdes. Enfin, un système à 3,4 masses solaires a été identifié, et s’il s’agit bien d’étoiles à neutron, ce serait le système binaire de ce type le plus lourd connu. Bref, les détecteurs de plus en plus sensibles arrivent à capter toujours plus de sources très différentes.
YO TOUT LE MONDE C’EST SQUEEZING Une sensibilité qui passe par des ajustements à la marge, par exemple de meilleures suspensions des miroirs sur les détecteurs afin de réduire le « bruit thermique », ou encore un laser plus puissant. Mais pour cette session en particulier, les chercheurs ont utilisé une nouvelle technique appelée « Squeezing ». Un concept assez compliqué à visualiser que Matteo Barsuglia résume ainsi : « Ça pourrait paraître un petit peu magique ! En bref, on injecte du vide comprimé qui sert à réduire le bruit quantique. » Derrière cette explication déconcertante se cachent des propriétés propres à la mécanique quantique. Dans ce monde de l’infiniment petit, le vide « standard » n’est pas complètement vide puisqu’il contient des fluctuations des champs électromagnétiques. Des interférences qui, en se mélangeant avec le faisceau laser principal, créent un bruit quantique qui limite les performances des détecteurs. Injecter du vide « comprimé » dans ces fluctuations limite le bruit et apporte des mesures encore plus précises.
Le squeezing a permis aux détecteurs Ligo et Virgo d’augmenter le taux d’événements détectés de l’ordre de 50 %, mais cela pourrait aller encore plus loin : la méthode crée une pression de radiation, un bruit supplémentaire qui, lui aussi, peut limiter les capacités de détection dans les fréquences basses. C’est pourquoi les chercheurs planchent actuellement sur un squeezing amélioré pour booster encore plus la sensibilité dans la prochaine prise de données en 2022.
1 000 SIGNAUX PAR SESSION Toutes ces améliorations ont donc rendu possible le fait qu’autant d’ondes gravitationnelles aient été détectées au cours d’une seule session. Et Matteo Barsuglia compte aller bien plus loin : « D’ici quelques années, nous devrions pouvoir détecter 1 000 signaux à chaque session ! Ce qui autorisera des statistiques beaucoup plus précises sur le profil de ces ondes. » Déjà, la session O3a a mis en évidence plusieurs systèmes binaires, avec deux objets qui fusionnent et qui ont des masses très différentes. Cela crée des harmoniques dans les ondes, et donne des informations précieuses sur leur inclinaison et leur distance par rapport à la Terre. « Nous obtenons aussi des informations sur leur spin, leur manière de tourner, ajoute Matteo Barsuglia, ce qui nous renseigne sur la manière dont ces objets se sont formés au départ. Mais là aussi, plus il y aura d’observations, plus on en saura ! »
En tout cas pour l’instant, avec les données qui s’accumulent de manière exponentielle sur le sujet, une chose reste sûre : les prédictions d’Einstein sont toujours justes. Les ondes gravitationnelles ne contredisent pas la théorie de la relativité générale. D’autant plus que les études sur le sujet sont nombreuses depuis qu’une grande partie des données récoltées par les détecteurs est rendue publique.
Une manière de maximiser l’impact scientifique de ces observations alors que le domaine avance très rapidement.
Source : https://www.numerama.com/sciences/664029-ondes-gravitationnelles-nous-jouons-avec-les-limites-fondamentales-de-la-mesure.html
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