Curiosity a détecté plusieurs fois de la matière organique à la surface de Mars. Mais comment est-elle arrivée là ? Pour des chercheurs, ces ingrédients qui peuvent être à l'origine de la vie viendraient en grande quantité de l'espace.
Des molécules organiques, le rover Curiosity en a détecté plusieurs fois sur Mars au cours de ses pérégrinations dans le cratère Gale et sur les premiers contreforts du mont Sharp. En ce qui concerne leur origine — grande question qui taraude les chercheurs —, la principale hypothèse demeure celle des poussières interplanétaires qui saupoudrent la planète. Ces poussières sont des particules solides, mélange d'astéroïdes émiettés par des collisions, de débris de comètes essaimés lors de leurs traversées du Système solaireinterne et aussi de cendres d'anciennes étoiles piégées dans le cocon du Soleil... De la matière primitive, en somme, qui a beaucoup à raconter aux astronomes sur la formation des planètes et qui a pu avoir une implication dans l'apparition de la vie sur Terre (et peut-être même sur Mars).
Pas totalement convaincue que la matière organique présente sur Mars provienne exclusivement de la poussière interplanétaire, une équipe internationale s'est lancée dans une enquête pour identifier d'éventuels autres coupables. Et selon leurs recherches, les astéroïdes et les comètes n'y seraient pas étrangers.
Près de 200 tonnes de matière organique seraient déversées chaque année sur Mars
D'après leurs recherches, l'équivalent de huit camions de matière organique est déversé sur Mars chaque année, soit quelque 192 tonnes. Les poussières interplanétaires domineraient, comptant pour environ 67 %, soit 129 tonnes. Et pour le reste, 26 % (environ 50 tonnes) de la matière carbonée aurait directement pour origine des astéroïdes et 7 % (13 tonnes), des comètes.
Les chercheurs n'ont pas obtenu ces résultats en prélevant des pincées de poussière sur la Planète rouge, non, ils ont inféré ces quantités via des simulations des taux d'impacts de corps célestes sur Mars. « Nous avons calculé pour la première fois le flux de carbone issu d'impacts d'astéroïdes et de comètes », écrivent-ils dans leur étude à paraître dans la revue Icarus. Ils ont donc pris en compte les corps célestes circulant dans le Système solaire. Certains étant plus riches en matière organique que d'autres. Et en ce qui concerne Mars, planète située à l'orée de la Ceinture principale d’astéroïdes, un grand nombre des astéroïdes qui se sont brisés à sa surface depuis des centaines de millions d'années seraient de la famille dominante de type C, c'est-à-dire carboné, famille représentant 75 % des astéroïdes.
Pour les chercheurs, cela vaudrait la peine d'aller voir de plus près autour des cratères d'impacts, jusqu'à 150 kilomètres alentour. Car c'est là, où se sont éparpillés les éjectas des corps célestes, que les rovers martiens devraient découvrir les plus grandes quantités de matière organique.
Évidemment, l'apport de ces ingrédients prébiotiques pose la question de l'apparition de la vie sur Mars, surtout lorsque des océans d'eau liquidecouvraient sa surface, il y a plus de 3,7 milliards d'années, et que le climat était plus chaud qu'aujourd'hui... Sur la Planète rouge et aussi ailleurs, sur d'autres mondes au-delà de notre Système solaire. « Près des autres étoiles, il y a aussi des astéroïdes et des comètes qui peuvent saturer la surface des exoplanètes avec du carbone, a déclaré Kateryna Frantseva, qui a dirigé cette étude. Et si, en plus de cela, il y a de l'eau, alors vous avez les ingrédients nécessaires à la vie. » Cela multiplie les chances de découvrir un jour de la vie ailleurs.
CE QU'IL FAUT RETENIR
La matière organique sur Mars serait en grande partie d'origine interplanétaire.
Curiosity arrive à proximité d'un petit dépôt d'argiles formées à une époque où l'eau liquide existait à la surface de Mars.
Le rover va y chercher des molécules organiques qui pourraient témoigner d'une activité biologique ou prébiotique ancienne.
POUR EN SAVOIR PLUS
Sur Mars, Curiosity trouvera-t-il des molécules organiques ?
Article de Rémy Decourt, publié le 16 février 2018
Des molécules organiques ont bien été détectées par Curiosity, rapportent Francis Rocard et François Poulet, mais ce ne sont pas celles espérées et leurs quantités sont insuffisantes pour savoir si la vie a pu ou non émerger sur Mars il y a bien longtemps. La situation pourrait évoluer... D'ici quelques semaines en effet, Curiosity devrait atteindre les strates d'argiles du cratère Gale qui pourraient bien avoir piégé ces molécules organiques. Explications de ces deux spécialistes.
Plus de cinq ans après son arrivée sur Mars, Curiosity arrive sur les strates d'argiles du cratère Gale, son objectif numéro un. Il ne lui reste plus qu'à franchir la ride d'hématite de Vera Rubin Ridge pour atteindre ce dépôt argileux qui témoigne d'une période où l'eau liquide est demeurée stable sur une assez longue durée. À cette période ancienne de l'histoire martienne, le climat de la planète était tempéré, comme le suggèrent de nombreuses études. La vie a pu « trouver des conditions favorables pour apparaître », nous explique Francis Rocard, spécialiste de Mars et responsable des programmes d'exploration du Système solaire au Cnes.
Structurées en empilement de feuillets, ces argiles ont la capacité de piéger « tout ce qui existe au moment de leur formation » dont des molécules organiques, si tant est qu'elles existaient à cette époque. Dit autrement, ces argiles « pourraient nous renseigner sur les vestiges d'une activité organique, voire prébiotique, aujourd'hui éteinte ». Elles sont aussi susceptibles d'héberger des vestiges fossilisés de structures biologiques. « Leur découverte serait un pas décisif sur la problématique de l'apparition de la vie sur Mars dans un très lointain passé. »
Curiosity a réussi à montrer que le site du cratère Gale a été habitable dans un lointain passé, qui se mesure en milliards d'années. Les scientifiques voudraient donc savoir plus précisément à quelle époque et surtout pendant combien de temps ces conditions favorables ont perduré. Cependant, seuls des échantillons de ces argiles rapportés sur Terre pourront être datés en laboratoire. C'est d'ailleurs la prochaine étape qui débutera dès 2020 avec le rover Mars2020 de la Nasa. En revanche, Curiosity permettra tout de même de lever la déception du « déficit très criant de molécules organiques » détectées jusqu'à maintenant par le rover. Certes, quelques molécules ont été découvertes, comme « le méthane, l'éthylène et le benzène mais en quantités infimes, qui se mesurent en picomoles ». Quant au CO2, omniprésent, il n'est « guère intéressant pour la chimie organique » car cette molécule est « extrêmement stable et se prête mal à des réactions complexes qui pourraient mener à une chimie prébiotique ».
Si la vie a pu émerger là où se sont formées ces argiles, il y a de « fortes chances que des molécules organiques y ont été piégées ». « Curiosity est tout à fait capable de les identifier et les caractériser », précise François Poulet, astronome à l'Institut d'astrophysique spatiale et membre de l'équipe qui a découvert des argiles de type phyllosilicates dans les terrains les plus anciens du Noachien (Mars Express, 2005).
Le rover embarque notamment Chemin, un spectromètre à diffraction X « qui permet de déterminer de façon très précise la composition minéralogique »d'un échantillon recueilli en général par forage et la suite d'instruments SAM qui peut déterminer la « composition chimique, moléculaire et isotopique de ces échantillons ». Jusqu'à présent, il n'a pas été possible de dire si ces molécules organiques « étaient d'origine biotique ou abiotique », même si certains rapports isotopiques et des mesures de chiralité, que SAM pourrait réaliser, sont des critères reconnus. Mais pour cela, il est nécessaire d'avoir certaines molécules particulières et en plus grande quantité.
Le saviez-vous ?
L’Institut d’astrophysique spatial possède la base de données la plus complète sur les dépôts d’argiles à la surface de Mars. Elle en recense plusieurs milliers (dont celui du cratère Gale). On peut les classer en deux catégories très distinctes : ceux qui se sont formés en profondeur, dans un environnement hydrothermal très chaud, et ceux formés dans un milieu ouvert, en surface, éventuellement en contact avec l’atmosphère.
La plupart des dépôts recensés se sont formés en subsurface et sont situés dans les terrains les plus anciens du Noachien et du Phyllosien, mieux préservés de l’érosion. Ils ne sont donc pas forcément un indicateur du climat martien de cette époque. À l'inverse, les argiles formées en surface sont représentatives de l’environnement de l’époque mais sont plus difficiles à détecter en raison de l’érosion qu’elles ont subie durant plusieurs milliards d’années.
L’exploration martienne effectuée par l’équipe de cet Institut est en partie financée par le Cnes.
Depuis l'orbite martienne, les argiles du cratère Gale apparaissent riches en fermais sont d'une composition peu variée par rapport à d'autres sites sur Mars. « La diversité spectrale contrainte à partir des observations orbitales est faible ».De plus, le contexte géologique de ces dépôts d'argiles reste incertain, de sorte qu'on ne sait toujours pas comment elles se sont formées. Il est possible que ces minéraux argileux « soient plus vieux que le cratère Gale, de formation plus récente (entre 3,5 et 3,8 milliards d'années) ». On peut imaginer que certains types d'argiles se soient formés plutôt en surface que dans le sous-sol martien. Dans ce cas, ce dépôt d'argiles proviendrait de l'érosion d'un site voisin et aurait re-sédimenté lors d'épisodes fluviatiles plus récents mais trop brefs pour avoir généré de notables quantités de nouvelles argiles.
D'autres opportunités pour trouver des molécules organiques sur Mars
Cependant, la taille de ce dépôt est plus petite que celles d'autres sites. Certains, en effet, montrent des empilements de plusieurs dizaines voire de centaines de mètres. Du coup, les scientifiques pensent que « ces argiles ne sont peut-être finalement pas représentatives d'argiles plus anciennes ». Ce soupçon est renforcé par « la présence de sulfates à proximité ».
Enfin, si Curiosity ne découvre pas de molécules organiques, les scientifiques « seront évidemment très déçus », souligne Francis Rocard, car ces argiles présentent a priori le « contexte le plus favorable pour évaluer le potentiel astrobiologique de Mars », renchérit François Poulet. Cela dit, il est encore « trop tôt pour faire le bilan de cette stratégie » tiennent à préciser les deux chercheurs. Ils attendent beaucoup du rover d’ExoMars (2020) et son foret permettant de « creuser jusqu’à deux mètres afin de collecter du matériau qui n'a pas été irradié par les rayonnements cosmiques, qui depuis des milliards d'années ont pour effet de détruire les molécules organiques dans le proche sous-sol », explique Francis Rocard.
Autre instrument très attendu, SuperCam qui sera installé sur le rover Mars2020 de la Nasa, qui se différencie de son prédécesseur, actuellement en service sur Curiosity. Cet instrument est en effet spécifiquement conçu pour la recherche de molécules organiques par LIBS de l'UV à l'infrarouge, en infrarouge passif et à l'aide d'un spectromètre Raman.
Curiosity : des molécules organiques mais d'origine inconnue
Article de Laurent Sacco, publié le 04/12/2012
Comme on pouvait s'en douter en lisant entre les lignes les déclarations de la Nasa sur les analyses de sol martien effectuées par les instruments de Curiosity, des molécules organiques ont bien été détectées. Mais il est très probable qu'elles ne soient pas d'origine martienne. La source exacte de ces molécules reste inconnue.
Bien que la Nasa ait annoncé qu'aucune révélation fracassante sur l'existence ou l'apparition de la vie sur Mars ne serait faite lors d'un colloque de l'American Geophysical Union, de nombreux passionnés ont suivi la conférence retransmise en direct et en vidéo le lundi 3 décembre 2012.
Il était entendu qu'aucune preuve de la présence d'organismes vivants ne pouvait être apportée par Curiosity, puisque le rover ne possède pas d'instruments pour cela, contrairement à ses prédécesseurs, les sondes Viking. En revanche, le robot est bel et bien en mesure de découvrir et d'identifier des molécules organiques dans le sol, les roches ou l'atmosphère de Mars.
Personne n'a encore démontré l'existence de molécules organiques dans le sol de Mars, bien que, depuis l'espace, des traces de méthane aient été découvertes dans son atmosphère. On pouvait donc penser que c'était la détection de ces molécules par l'instrument Sample Analysis at Mars (Sam) qui avait déchaîné l'enthousiasme d'un des responsables de la mission Mars Science Laboratory (MSL), John Grotzinger. Ce dernier avait confié de façon informelle à un journaliste que Sam avait fourni des mesures « de nature à entrer dans les livres d'histoire ».
Des molécules organiques pas forcément dans le sol martien
Certes, des démentis n'ont pas tardé à arriver, dont une mise au point de la Nasa en fin de semaine dernière. Mais le communiqué de l'agence américaine était curieusement tourné. On n'y parlait pas de l'absence de preuve de la présence de matières organiques sur Mars, mais de l'absence d'une preuve incontestable.
Effectivement, lors de la conférence publique retransmise en vidéo sur la Toile depuis San Francisco, les chercheurs ont annoncé que des molécules organiques ont bien été détectées par Sam, en l'occurrence des dérivés chlorés du méthane, comme le chlorométhane et le dichlorométhane. Mais s'agit-il de molécules martiennes ? Rien n'est moins sûr !
Les molécules détectées par Sam sont-elles martiennes ?
L'échantillon que Sam a analysé provient d'un prélèvement dans un sol sableux et poussiéreux au fond du cratère Gale. Cet échantillon a été déposé dans un petit four où il a été chauffé pour que des gaz soient libérés. L'opération s'est parfaitement déroulée et l'analyse de ces gaz a fourni d'excellents résultats. De la vapeur d'eau, du gaz carbonique et du dioxyde de soufre ont été mis en évidence, ainsi que la présence de perchlorate, déjà détectée au pôle nord de Mars par la sonde Phoenix et qui a fait couler beaucoup d'encre récemment en liaison avec les mesures des sondes Viking.
Selon les chercheurs, il se pourrait fort bien que les dérivés chlorés d'alcanes découverts par Curiosity soient tout simplement le résultat de réactions chimiques entre les gaz d'origine non biologique dégagés lors du chauffage des échantillons.
Origine indéterminée pour les atomes de carbone
De plus, si l'on a pu démontrer que les atomes de chlore étaient bien d'origine martienne, il n'en a pas été de même pour les atomes de carbone, qui pourraient avoir été apportés depuis la Terre, malgré les mesures prises pour empêcher des contaminations de ce genre dans les expériences.
Rien ne prouve donc qu'il y avait des molécules organiques dans l'échantillon de sol martien avant son chauffage ni que ces molécules ne proviennent pas de la Terre. En revanche, il est certain qu'il n'y a pas de grandes quantités de composés organiques dans l'échantillon de sol. Quand bien même on aurait trouvé de telles molécules, il n'est pas évident qu'elles soient d'origine biologique ni qu'elles proviennent de processus abiotiques propres à Mars.
Échantillons avec Curiosity, forages avec ExoMars
On sait que des molécules organiques complexes existent en abondance dans certaines météorites comme celles de Murchison, et probablement aussi dans les comètes. On pouvait s'attendre à ce que le sol de Mars soit enrichi en molécules organiques de ce genre, venues depuis l'espace. Il n'en serait rien... au moins à l'endroit où se trouve le rover. Mars n'étant pas protégé des ultraviolets par une atmosphère épaisse ou des rayons cosmiques par une magnétosphère comme sur Terre, il est possible que des molécules organiques soient rapidement détruites à la surface de Mars.
Il ne faudrait pas se sentir découragé par ces résultats négatifs. La mission de Curiosity, qui doit durer 2 ans, n'en est qu'à ces débuts. Étant donné les excellentes performances des instruments soulignées par les chercheurs de la Nasa, il y a fort à parier que des découvertes passionnantes nous attendent, même si elles ne concernent pas directement l'exobiologie. La découverte de traces de vie ne viendra peut-être qu'avec des forages que réalisera le rover de la mission européenne ExoMars dans quelques années.
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Crédit : Futura Sciences
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