La détermination de certaines caractéristiques de la banquise de l'océan global d'Encelade, grâce aux mesures gravimétriques de la sonde Cassini, a permis de préciser un modèle de cet océan. Les calculs effectués avec ce modèle suggèrent alors l'existence de courants un peu analogues à ceux connus sur Terre dans le cadre de la circulation thermohaline océanique, ou plus largement dans ce que l'on appelle la circulation méridienne de retournement.
Avant la découverte de l'océan global d'Encelade, et si l'on excepte Mars, les meilleures chances de trouver des traces de formes de vie ailleurs que sur Terre se trouvaient certainement à la surface d'Europe, la lune glacée de Jupiter. Mais aujourd'hui, on peut se poser des questions car contrairement à Europe, Encelade se trouve dans une région de la magnétosphère de Saturne qui est nettement moins délétère pour l'électronique d'une sonde que dans le cas de Jupiter, si l'on prend en compte les particules chargées qui y circulent. C'est pour cette raison, d'ailleurs, que l'on n'a fait qu'un petit nombre de passages rapprochés d'Europe et qu'il serait une mauvaise idée, sans un durcissement de l'électronique pour résister aux radiations cosmiques, de se mettre en orbite autour d'Europe.
Certes, Europe semble bel et bien posséder des geysers qu'une sonde peut traverser pour en déterminer la composition. En outre, comme le proposait le regretté Freeman Dyson, il suffirait peut-être de partir à la chasse de blocs de la banquise d’Europe éjectés par de gros impacts de météorites, et en orbite rapprochée, pour espérer toucher le jackpot de l'exobiologie. Toutefois, Encelade possède aussi des geysers et comme son environnement est moins dangereux, la stratégie de recherche de Freeman Dyson serait sans aucun doute plus facile à mettre en œuvre aux alentours d'Encelade.
Une partie de la communauté scientifique se concentre donc sur Encelade (et une autre sur Europa Clipper, dont le lancement est prévu à l'horizon 2025, et qui devrait réaliser une quarantaine de survols d'Europe) et la modélisation de son océan. On sait que ce dernier est maintenu liquide en partie au moins à cause de forces de marée gravitationnelles de Saturne dissipant de la chaleur en malaxant le cœur rocheux de la lune, mais pas au point d'y produire le volcanisme observé pour la même raison sur Io.
Une présentation d'Encelade et son océan global. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa
De la géophysique appliquée à la planétologie comparée
Encelade n'a que 500 kilomètres de diamètre mais son champ de gravité est assez fort pour permettre de l'utiliser pour résoudre ce que les géophysiciens terrestres appellent un problème inverse. En l'occurrence, pouvoir remonter aux distributions inhomogènes de masse à l'intérieur d'un corps céleste en analysant les caractéristiques de ce champ tout comme l'oreille humaine reconnaît un instrument, sa forme et sa composition, en écoutant la musique qu'il produit.
Les mouvements de rotation d'une planète donnent aussi des informations sur sa structure interne car ils sont déterminés en partie par son moment d'inertie. Bref, il est possible de contraindre des modèles physiquement crédibles de son intérieur. Les planétologues sont ainsi arrivés à la conclusion, grâce aux données de la sonde Cassini, que l'océan global d'Encelade devait probablement être profond de 30 kilomètres au moins. Ils sont également arrivés à faire des estimations concernant l'épaisseur de cette banquise, environ 20 kilomètres, et il semble bien qu'elle soit plus mince aux pôles qu'à l'équateur.
Des chercheurs sont allés un cran plus loin comme ils l'expliquent dans un article publié dans Nature Geoscience mais que l'on peut trouver en accès libre sur arXiv.
La vie existe-t-elle dans l'océan d'Encelade ? Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa, Jet Propulsion Laboratory
Un analogue de la circulation méridienne de retournement ?
Il est possible de transposer les modèles décrivant le comportement des océans salés sur Terre à Encelade. Il y a bien sûr des différences. Ainsi, il n'y a pas de vents et la chaleur est injectée non pas depuis la surface mais depuis le fond de l'océan sur Encelade. Mais les mêmes équations de la physique sont à l'œuvre comme celles de Navier-Stokes pour l'hydrodynamique et de Fourier pour la chaleur. Enfin, les planétologues ont à leur disposition le savoir des océanologues construit en étudiant l'océan Austral autour de l'Antarctique où la glace et l'eau salée sont en interaction, comme dans le cas d'Encelade. Une modélisation de cette interaction a donc été faite sur ordinateur pour la lune de Saturne.
Il apparaît alors qu'aux pôles la glace aurait tendance à fondre plus facilement, ce qui expliquerait qu'elle soit moins épaisse et inversement à l'équateur. Or, de l'eau salée qui gèle expulse le sel qu'elle contient de sorte que l'eau liquide devient plus lourde et qu'elle va donc plonger en profondeur dans de l'eau moins salée. La situation n'est pas sans rappeler un phénomène lié à une instabilité bien connue en océanologie sur Terre, un phénomène ressemblant à l'instabilité de Rayleigh-Taylor (ainsi nommée en hommage aux physiciens britanniques Lord John William Strutt Rayleigh et Geoffrey Ingram Taylor) par ses manifestations. Mais son origine est différente : c'est une instabilité de double diffusion. Il se forme alors les fameux « doigts de sel ». Cette instabilité survient dans un milieu comportant deux fluides de densité différente et stratifiés dans un champ de gravité où le plus dense est initialement au-dessus. Cette situation n'est pas stable, si bien que le fluide le plus lourd développe des sortes de panaches pénétrant le fluide le plus léger, tandis que celui-ci, à l'inverse, crée des panaches analogues qui s'élèvent. Sur Terre, cela intervient dans ce que l'on appelle la circulation thermohaline et plus généralement dans la circulation méridienne de retournement.
Au final, les simulations numériques conduites par les chercheurs nourris des données gravitationnelles de Cassini laissent donc penser que des analogues de cette circulation, avec des courants, se produisent dans l'océan d'Encelade avec de l'eau plongeant au niveau de l'équateur puis se dirigeant vers les pôles où elle monte en surface en devenant plus chaude, chauffée par le plancher océanique, avant de se diriger à nouveau vers l'équateur.
Cette information importante nous renseigne sur les régions de l'océan d'Encelade où l'eau serait plus chaude, également plus riche en nutriments et où la vie aurait donc plus de chance de prospérer.
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